Un visiteur du soir s’en est allé...

Article publié dans Aix-Echos N°71 - Janvier 2007 - (Journal trimestriel du canton de St Germain Laval dans la Loire)
lundi 5 février 2007
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Aix-Echos rend hommage à Maurice Peurière.
Membre de cette communauté secrète des poètes inconnus, il a doucement tiré sa révérence dans le silence d’une nuit intérieure, le 22 décembre 2006. Hommage filial, également, puisque sa fille Jacqueline, poète elle aussi, nous a confié, en partage, quelques poésies paternelles. Ils avaient, tous les deux, le projet d’un recueil en commun.
Aix-Echos vous en propose comme les prémices, respectueusement.

LES VISITEURS DU SOIR.

Pourquoi faut-il que je me leurre
Que j’ignore le temps passé
Je sais pourtant qu’approche l’heure
L’heure de mes lointains passés.

En lisant dans ce cimetière
Le nom des morts sur les caveaux
Des silhouettes familières
Semblent chuchoter :"A bientôt."

L’une vous murmure à l’oreille
"II y a dix ans que je dors
Tu m’as dit que j’étais abeille
Et tu m’aimais , j’y pense encor."

Une autre vous dit d’un air triste :
"Deux ans déjà que je suis là
Tu riais de mes dons d’artiste
La camarde, elle, ne rit pas."

Et toutes ces voix de la terre
Montent vers nous pas méchamment
Elles fredonnent l’éphémère
De nos passions et de nos ans.

Maurice Peurière.
22 août 1975, Saint-Germain-Laval.

Essai d’illustration pour "Les visiteurs du soir" - 1942 - Film de Marcel Carné, par M. Peurière le 16 juillet 1976.

Miettes

Quand je jette un caillou dans les eaux d’un étang,
Je regarde grandir les vagues concentriques
Dont la vie éphémère évoque les instants
De notre propre vie vers son final tragique.

24 janvier 1977

« Rêve », ce long poème écrit le 7 août 1976, dévoile à mots à peine couverts les passions et les engagements, les chemins de vie et les aspirations profondes de Maurice Peurière.
C’était un être secret pour ses proches. Amoureux de la nature et du Midi, musicien et mélomane passionné par le baroque instrumental, libre-penseur, « communard » et « révolutionnaire » convaincu, il fut aussi tout au long de sa vie un enseignant et un militant syndicaliste reconnu. Mais par-delà cette biographie à peine esquissée, ses vers tout à la fois mesurés et intimes, vibrants et intenses, gourmands de la langue, révèlent l’essentiel : l’homme de son siècle, héritier de l’Histoire et le poète, en quête d’avenir et de rêve.

REVE.

Poète, tu chantais la nature au printemps,
II y a bien mille ans et même plus avant,
Aède à l’agora, Virgile au Capitole,
Et nous avons connu tes strophes à l’école.
Nous aimions ton bocage où le tendre berger
Butinait la bergère aux seins en liberté.

Poète, tu as maudit les tristes gibets
Aux grappes de pendus que le vent ballottait.
Tu fus ce Montcorbier qui pleurait sa jeunesse,
Truand de grand chemin qu’on arrêtait sans cesse
Qui, dans ses aventures, un jour, a disparu,
Et l’on n’a jamais su ce qu’il est devenu.

Poète, bien que tu aies été tonsuré,
Tu as su dire, dans tes sonnets, la beauté
De la douce Marie et de la blonde Jeanne,
Et pour leur faire l’amour où était ta soutane ?
Mais tu as su aussi voir défiler le temps
Qui efface l’élan de nos bouillants vingt ans.

Poète, tu le fus avec tes animaux,
Ton mielleux goupil qui berna le corbeau,
Avec les travers de l’homme qu’en galerie
De cocasses portraits tu étalas : envie,
Avarice, orgueil, maladresse, lâcheté,
Et l’espoir que tes conseils seraient écoutés.

Poète, tu racontas les bois et les champs,
Les peines et les angoisses des pauvres gens.
Contre les cyniques parvenus qui étalent
Leurs trésors, tu voulus de la poudre et des balles :
Et, plutôt que de vivre auprès de Badinguet,
Tu quittas le pays que pourtant tu aimais.

Poètes, dans vos paradis artificiels :
Absinthe et tabac pour des soleils irréels,
Vous avez voulu fuir ce monde cannibale
Où l’on vit de guerres, de viols et de scandales ;
Vos terribles sanglots aux échos infinis
Bouleversent encor le repos de nos nuits.

Poètes, vous tous, les modernes troubadours,
Effrayés par l’acier et le béton des tours,
Par l’électronique, l’ordinateur, l’atome,
La science qui détruit au lieu de servir l’homme,
Avec vos guitares, que triomphe la raison,
Et que, demain, le bonheur ouvre les prisons.

Poète, crois en ta mission, garde l’espoir
Qu’après les matins tristes viendront de beaux soirs,
Qu’on ne parlera plus de haine et de misère,
Que l’homme vivra enfin libre sur la terre.
Poète, il viendra cet univers fleuri,
Et le chant des grillons au frisson des épis.

7 août 1976.

"Je viens de la nuit où l’on souffre..." Victor Hugo

Dessin de Victor Hugo. « Ville au crépuscule. »
« Je viens de la nuit où l’on souffre... » Victor Hugo

Dessin de Victor Hugo "Ville au crépuscule."

Sans doute ce père - poète ( trois cents poèmes entre 1937 et 1985) - a-t-il été à l’origine de l’écriture dense et profonde de sa fille Jacqueline. Ne lui avait-il pas offert son tout premier livre : un recueil de poésies illustrées dont elle garde encore aujourd’hui, tel le découvreur d’un trésor caché, le souvenir émerveillé ?
Alors, osons une première rencontre, par-delà le temps, entre leurs deux voix poétiques : l’expression d’une liberté d’esprit et d’imaginaire qui fait courir les mots de rayon de lune en étoile filante, de sentes neigeuses en bal musette, une manière de « prendre la tangente » quand le monde est « à refaire »…

LE TRIMARD.

Toi, qui te fais bronzer
Dans un rayon de lune,
Toi, qui n’as pour fortune
Que le ciel étoilé,

Toi, que portent tes pas
Vers les champs de lavande,
Toi, qui cueilles l’amande
Pour t’en faire un repas,

Toi, qui bois un peu d’eau
De la calme Durance,
Toi, qui as la patience
D’écouter les oiseaux,

Toi, qui braves l’hiver
Sur les sentes blanchies,
Qui dors dans les prairies
Sous quelque toit désert,

Toi, pour qui les matins
Se parfument de roses,
De fleurs à peine écloses,
D’ache et de romarin,

Toi, dont le manteau pend
En franges misérables
Epoussetant le sable
Au long des océans,

Toi, qui uses ton temps
Sur les routes de France,
Toi, qui toujours avances
Sur les ailes du vent,

Toi, que j’ai vu passer
Comme passe un nuage,
Voyageur sans bagage,
Es-tu la Liberté ?

Maurice Peurière
10 décembre 1978

VIVRE DANS LES SOLEILS

Vivre dans les soleils
Sous la voûte vermeille
Irisée d’arc-en-ciel
Redécouvrir la lune
Faire des journaux la une
Parcourir nu-pieds
L’opale voie lactée
Aux cheveux par la tête
Empoigner les comètes
S’extasier à l’envi
Devant les galaxies
Suivre les météores
Y dormir on adore
Vouloir damer le pion
Aux constellations
Se rendre au bal musette
Faire danser les planètes
Peindre les nébuleuses
En Liseuse de Greuze
C’est traverser la vie
En étoile filante
Et prendre la tangente
Si mes coups de tonnerre
Quelquefois t’exaspèrent
Ils espèrent que parfois
Enfin tu condescendes
A descendre sur Terre
Pied-à-terre terre à terre
Où tout est à refaire

Extrait de "Couleur cerise"
Jacqueline Peurière-Ferlin


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